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Le ministre de l’économie blanchi

Fitzgibbon échappe encore aux conséquences de ses actes

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Le 31 mai dernier, la commissaire à l'éthique du Québec a annoncé avoir conclu que Pierre Fitzgibbon, ministre de l’économie, de l’innovation et de l’énergie, n'a pas enfreint le code de déontologie en participant à une partie de chasse au faisan sur une île privée appartenant à des hommes d'affaires bénéficiant de subventions publiques. Cela faisait suite aux révélations du 8 décembre 2022, et à la demande des parties d'opposition d'ouvrir une enquête à son sujet.

Dans son rapport, la commissaire Ariane Mignolet adresse néanmoins une mise en garde au ministre, soulignant la nécessité d'une vigilance accrue pour éviter les conflits d'intérêts apparents ou réels. Alexis Lafleur-Paiement, chargé de cours en philosophie à l'Université de Montréal et spécialiste de la pensée politique, du fonctionnement de l’État et des institutions gouvernementales, explique que ces conflits d'intérêts sont monnaie courante dans la politique, qu'elle soit québécoise ou canadienne.

"Les partis politiques dépendent des dons privés pour exister et les gouvernements ont une obsession pour la 'réussite économique'," explique-t-il. "Les élites politiques et économiques sont formées des mêmes personnes, et elles visent les mêmes objectifs de développement en faveur des grandes entreprises. Cette réalité n’est pas cachée."

Il donne l'example évident de la Coalition Avenir Québec, qui a été créé par des hommes d'affaire, justement dans le but de fournir des politiques avantageuses aux entreprises. "Depuis, la CAQ et ses ministres entretiennent des liens très forts avec le secteur privé, par l’entremise du lobbyisme officiel, par des contacts personnels, par des rencontres professionnelles ou par des investissements. Pierre Fitzgibbon a été attaqué plusieurs fois en raison de ses investissements dans des compagnies ayant des liens avec le gouvernement, nommément ImmerVision et White Star Capital."

Le ministre Fitzgibbon a réagit de manière cinglante à la mise en garde de la commissaire à l'éthique, affirmant qu'il y a une ligne claire entre sa vie personnelle et professionnelle et qu'il n'a pas l'intention de changer ses façons de faire. Pour M. Lafleur Paiement, "il existe certainement une distinction entre la vie privée et la vie professionnelle d’un ministre, mais Pierre Fitzgibbon ne la respecte pas. Il mélange continuellement ses relations privées, ses relations d’affaires et ses fonctions ministérielles."

Il s'agit de la sixième enquête de la commissaire à l'éthique sur Pierre Fitzgibbon, "et il a reçu un blâme de l’Assemblée nationale en novembre 2020," ajoute Alexis Lafleur-Paiement. "La commissaire a même recommandé qu’il soit suspendu de l’Assemblée nationale en juin 2021 pour ses manquements graves."

Pierre Fitzgibbon à la réunion annuelle du Forum économique mondial 2022 à Davos-Klosters, Suisse, 24 mai

Le premier ministre François Legault a réagit à la blague à cette situation, lançant: "Le ministre a été complètement blanchi, il aura le droit de continuer à aller à la chasse au faisan. Par contre, on aimerait avoir des photos de lui avec son habit!" Il a ensuite critiqué le Parti libéral du Québec pour avoir demandé l'enquête, le qualifiant de ridicule. 

Le ministre Fitzgibbon, souvent qualifié de "super ministre", est selon plusieurs experts l'individu ayant le plus de pouvoir au Québec, après M. Legault. Ami personnel du premier ministre, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie est également ministre responsable du Développement économique régional et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal. De plus, sa conjointe Isabelle Charest est ministre responsable du Sport, du Loisir et du Plein air.

M. Lafleur-Paiement croit que cette attitude est représentative d'un problème plus large. "En tant que ministre et homme d’affaires influent, il est protégé par le premier ministre et par ses associés. Son cas démontre le copinage entre les élites politiques et économiques. [...] Rappelez-vous les scandales de l’époque de Jean Charest (2003-2012), l’affaire SNC-Lavalin (2019) et maintenant, les enquêtes à répétition contre Pierre Fitzgibbon."

Il explique que ces lien qui unissent le monde politique et les milieux d’affaires nuisent au bon fonctionnement de la démocratie. "Puisque les élites politiques et les élites économiques cherchent à privilégier les entreprises privées, elles ont tendance à négliger le bien-être collectif et, souvent, à faire des arrangements douteux, voire illégaux."

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