Au cinéma—« Mon ami le terroriste », ou l’humanisation des ennemis politiques

Mon ami le terroriste: Une histoire d'amour et de révolution (2024) est un documentaire sans précédent sur le courage, le sacrifice… et le karaoké. Il raconte la vie de feu Jose Maria Sison, affectueusement connu sous le nom de JoMa, et de sa femme et partenaire de révolution depuis 63 ans, Julieta de Lima, ou Juli.

Avant de rester pris en exil à Utrecht, aux Pays-Bas, pendant plus de 35 ans, JoMa a été le fondateur du Parti communiste des Philippines (CPP) et de son bras armé de guérilla, la Nouvelle armée du peuple (NPA), ainsi que le cofondateur du mouvement de jeunesse national Kabataang Makabayan. Le documentaire se concentre non seulement sur l'histoire du couple en tant que leader d'un mouvement essayant d'apporter un changement profond dans leur pays, mais aussi sur les millions de vies que leur leadership a changé au cours des décennies.

Mon ami le terroriste n'est ni une chronique distante de quelques « grands personnages qui ont façonné l'histoire », ni un sombre documentaire de guerre (bien qu'il y ait une ou deux scènes choquantes de répression policière). Au contraire, le documentaire cherche avant tout à humaniser ces deux ennemis de l'État, qui figuraient autrefois en tête des listes de terroristes du monde occidental. Nous les rencontrons à un âge avancé, se promenant le long des canaux d'Utrecht, dialoguant avec les habitants et se remémorant une vie d'amour et de lutte.

Les réalisateurs, Malcolm Guy et Demetri Estdelacropolis, ont su capter chaque once de dignité, de courage et de fantaisie de Sison et de Lima. JoMa adore chanter au karaoké et le fait fréquemment tout au long du film (une habitude qu'il a prise pour rester sain d'esprit pendant ses longues années de prison); ils ont tous deux un grand sens de l'humour et adorent se taquiner l'un l'autre. Malgré toutes les souffrances qu'ils ont vécues, de la guerre dans la jungle à l'incarcération et à la torture, en passant par le fait de voir grandir leurs quatre enfants à distance, ils possèdent une joie et une conviction inébranlables.

L'effet est renforcé par les excursions dans les villes denses, les campagnes ouvertes et les jungles luxuriantes des Philippines, où nous voyons les fruits de la lutte de toute une vie du couple: une société autonome qui vit en défiant ouvertement le gouvernement philippin soutenu par les États-Unis, qui a essayé et échoué pendant des décennies à les brutaliser et à les soumettre.

Entre les moments de tendresse du couple, les interactions avec des Néerlandais déconcertés qui rencontrent pour la première fois des révolutionnaires communistes et les extraits de la poésie de JoMa, le véritable cœur de ce documentaire se trouve dans les résistants philippins eux-même. Nous rencontrons des ouvriers agricoles qui racontent des histoires d'horreur sur la brutalité de l'État, des guérilleros qui offrent des soins de santé et une éducation aux indigènes Lumads dans la jungle, et des parents de jeunes enfants qui ont dû quitter leur famille pour se battre pour un meilleur avenir. Tous rayonnent de fierté et d'amour lorsqu'ils parlent de JoMa, de Juli et du mouvement pour lequel ils se battent.

Le film, d'une durée d'une heure et quarante minutes, est très dense et présente des dizaines d'années d'interviews. Il s'enorgueillit d'images rares montrant des événements culturels dans des territoires éloignés contrôlés par la NPA, des conversations rares avec des personnalités politiques recluses et un aperçu des pourparlers de paix entre le CPP et le gouvernement philippin à Oslo, en Norvège.

La photographie du film capture avec élégance des scènes du monde entier dans ce qui ressemble à un roadtrip planétaire. Les moments intimes et calmes sont joliment enveloppés par une bande sonore discrète, mais élégante de Sebastian Splinter.

Les projections de Mon ami le terroriste sont encore assez rares en raison de la difficulté à distribuer ce genre de film. Il ne sera pas disponible en streaming avant un certain temps en raison de problèmes de sécurité pour les militants, dont la localisation risque d'être découverte par le gouvernement philippin. Il vaut cependant la peine d'être surveillé: il y a très peu de films comme celui-ci.

Les prochaines projections du film et sa bande annonce sont disponibles ici.