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Jeudi, l'Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi modernisant l’industrie de la construction (projet de loi 51), malgré les vives critiques des syndicats ainsi que des groupes luttant pour les droits du logement et les droits des travailleurs migrants. La loi apporte des réformes radicales à l'industrie de la construction, en assouplissant la réglementation sur les personnes que les employeurs de la construction peuvent embaucher et sur le type de formation dont les travailleurs ont besoin.
Les syndicats de la construction ont signalé que les changements apportés profitent aux patrons au détriment de protections essentielles pour les travailleurs. La loi affaiblit l'obligation faite aux entreprises d'embaucher des travailleurs locaux, en particulier des apprentis. Elle accélère la formation requise pour les nouveaux travailleurs de la construction et permet à certains travailleurs d'être affectés à des tâches ne relevant pas du métier dans lequel ils ont été formés. Par exemple, dans le cadre du nouveau régime, les travailleurs de tous les métiers seront autorisés à utiliser des machines lourdes.
Les syndicats craignent que ces changements ne créent des problèmes de santé et de sécurité et n'entraînent une baisse de la qualité des constructions.
Parallèlement à ces critiques, les défenseurs des travailleurs immigrants craignent que la nouvelle loi n'entraîne une augmentation du recours aux travailleurs étrangers temporaires (TET) dans des conditions de travail précaires.
Les TET sont beaucoup moins bien payés que leurs homologues citoyens canadiens et font souvent des heures supplémentaires sans être payés. Ils sont systématiquement exposés à des conditions de travail dangereuses et ont peu de recours contre les patrons abusifs. L'année dernière, un rapport des Nations unies a condamné le système canadien des TET, déclarant qu'il « rend les travailleurs migrants vulnérables aux formes contemporaines d'esclavage ».
Pour mieux comprendre les implications des réformes, L'Étoile du Nord s'est entretenue avec Raphaël Laflamme, un organisateur communautaire du Centre des travailleurs immigrants (CTI).
M. Laflamme a expliqué que, bien que la loi ne mentionne pas explicitement les travailleurs étrangers temporaires, elle permettrait aux entreprises de la construction d'économiser de l'argent en embauchant des TET. Cela résulterait des nouvelles mesures visant à «diversifier» le bassin d'apprentis, combinées à la suppression des exigences en matière d'embauche locale :
« Ça nous fait craindre qu’ils vont pouvoir intégrer plus de travailleurs étrangers temporaires dans des postes de cheap labour. Par exemple, ils vont faire venir des travailleurs étrangers temporaires comme apprentis, mais puisqu’ils sont temporaires, ils ne vont rester que deux, trois ans. Ensuite, les employeurs pourraient bien se débarrasser d'eux et refaire venir un paquet de nouveaux travailleurs étrangers temporaires apprentis. Ils évitent ainsi de devoir les payer plus lorsqu’ils obtiennent plus de qualifications. »
Il poursuit : « Les employeurs ne seront plus obligés d'embaucher dans les régions où se trouvent les chantiers, ou du moins, les règles vont être vraiment assouplies à ce niveau-là. Donc on a un peu peur que les travailleurs étrangers temporaires soient utilisés comme main-d'œuvre à bon marché et expédiés dans les différentes régions. »
La CAQ présente la réforme de la construction comme une mesure de « flexibilisation ». M. Laflamme a souligné les similitudes entre cette nouvelle loi et d'autres réformes adoptées par le gouvernement dans les domaines de la santé et de l'éducation.
« C’est un projet de loi qui fait partie d'un ensemble plus grand de changements qui sont des réformes néolibérales, qui vont complètement détruire le monde du travail. On a eu des projets de loi en santé, en éducation, en logement, on en a eu un sur la santé et sécurité au travail aussi qui est passé. [...] C'est une attaque frontale contre les travailleurs et les travailleuses. Ce sont des projets de loi qui veulent carrément opérer une division plus profonde de la répartition de la richesse dans la société. »
Parmi les justifications de la CAQ à l'égard de la réforme, on retrouve l'idée qu'elle atténuera la crise du logement en accélérant la construction de nouveaux logements. À ce sujet, M. Laflamme a fait écho aux critiques formulées par les groupes de défense du logement :
« La CAQ prétend que ce projet-là va permettre de nouvelles constructions, pis que ça va aider pour la crise du logement, mais c’est complètement à côté de la plaque. Les causes du manque de logement n’ont que très peu de lien avec ce qui est abordé dans le projet de loi. »
Malgré l'adoption de la nouvelle loi, M. Laflamme et ses collègues sont loin d'accepter la défaite. Le CTI travaille à unifier les personnes touchées par cette réforme et d'autres réformes de la CAQ :
« Avec le CTI, on est en contact avec différents groupes pour monter une campagne organisée contre l'application de ce projet de loi là, mais aussi qui s’inscrit dans une opposition à la séquence de lois et de transformations que la CAQ a faite. Donc, on travaille avec les groupes syndicaux et avec les groupes communautaires en logement pour faire une campagne organisée. On invite les gens à y participer. »
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