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Entrevue avec Pierre Brassard

Une réforme de la construction pour « les amis du parti »

Temps de lecture:4 Minute

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Au mois de mars se tenait une commission parlementaire sur le projet de réforme de l'industrie de la construction du Québec. D'un côté, les syndicats représentant les travailleurs de la construction (CSN, FTQ, CSD, SQC) ont dénoncé le contenu du projet de loi. De l'autre, les associations de patrons et d'entrepreneurs comme l'Association de la construction du Québec demandent encore plus de « flexibilité » et de « mobilité » dans l'industrie.

L'Étoile du Nord s'est entretenue avec Pierre Brassard, président de la CSN-Construction depuis 2013, pour mieux comprendre ces différences d'opinions et les enjeux derrière cette réforme.

Selon lui, les mesures pour augmenter la mobilité avantagent les employeurs aux dépens des travailleurs « Ça favorise les grosses entreprises comme Pomerleau, des gros joueurs qui n'embauchent pratiquement que des sous-traitants. » En ce moment, la loi R-20 oblige ces grandes entreprises à embaucher localement, et ils ne peuvent aller chercher de la main-d'œuvre ailleurs que s'il y a une pénurie. Cette mesure est d'une importance capitale pour l'emploi en région éloignée.

Toutefois, avec la loi 51, les employeurs ne seront plus contraints d'employer de la main-d'œuvre locale. « Les sous-traitants vont amener leur main-d'œuvre pour que ça avance. » Ces travailleurs sont plus modelables et moins chers pour ces entreprises, puisqu'ils n'ont pas de sécurité d'emplois. À cause de cela, « ils acceptent souvent de partir travailler à l'extérieur, d'être huit, dix dans la même maison, et d'avoir juste assez d'argent pour être capable de déjeuner et dîner. C'est du gros n'importe quoi quand tu ne payes pas la pension dictée par les conventions collectives. »

Il explique que les contrats de dizaines de millions de dollars du gouvernement ne peuvent généralement pas être effectués par les petits sous-traitants ou les entrepreneurs généraux de région. « C'est les gros joueurs de Montréal et de Québec qui prennent ces contrats-là. De toute façon, ce sont les amis du parti. Pomerleau, c'est un ami du parti. On le voit qui reçoit les gros contrats! Regarde qui a reçu la majeure partie des CHSLD que le gouvernement a mis en chantier depuis deux ou trois dernières années. C'est Pomerleau. »

De leur côté, les associations d'employeurs en demandent encore plus. « On entend Houlle, » faisant référence à Guillaume Houlle de l'association de la construction du Québec, « dans les médias dire 'Nous autres, ce n'est pas assez, la mobilité proposée par le ministre du Travail. Ça en prend davantage. En plus, il ne faudrait pas avoir besoin de payer quand on amène notre monde à l'extérieur, parce qu'on les fait vivre.' Ça, ça risque de vider les bassins régionaux de main-d'œuvre. »

Brassard dénonce aussi l'imposition aux travailleurs d'une plus grande polyvalence dans les tâches. « On essaie de trouver un remède général pour un bobo particulier. Ils veulent que tout le monde puisse faire n'importe quoi. Quand t'as étudié pendant deux ans pour apprendre un métier, t'as pas étudié pour apprendre trois métiers en même temps. »

Selon lui, cela risquerait d'aggraver la pénurie de main-d'œuvre. « Ça va créer des abandons. Il va y avoir des apprentis qui vont dire, 'J'ai pas été à l'école deux ans pour me beurrer de peinture, ou pour monter des maisons, monter des appartements. J'ai pas étudié pour être plâtrier, puis mon boss me fait faire du plâtrage. Ça me tentera pas de le faire. Il va me forcer à le faire ou il va me mettre à pied.' Ça va générer des fausses mises à pied. »

Photo : CSN

« Puis après, ça va être dur d'application sur le terrain. Il risque d'y avoir beaucoup d'impacts sur la santé et la sécurité, et il risque d'y avoir beaucoup de défectuosité de construction. Quand on oblige un travailleur à faire une tâche et qu'il ne veut pas faire, ça risque de ne pas être bien fait. »

Pourtant, la CSN-Construction aurait bien voulu une modernisation de la loi sur l'industrie de la construction. Selon elle, plusieurs aspects de la loi auraient bénéficié d'une mise à jour. « On a rencontré à plusieurs reprises les attachés politiques et le ministre du Travail. Mais il y a dans cette industrie-là une forme de discrimination envers certains travailleurs ou certains types d'emplois. »

« Dans le lot des occupations qu'on appelle vulgairement 'les manœuvres', il y a cinq types qui ont des diplômes d'études professionnels et qui ne sont pas reconnus comme métiers. » Cependant, leurs formations suivent tous les règlements pour être reconnues comme telles. « Pour les arpenteurs, le DEP dure deux ans ou 1800 heures. C'est le plus long DEP, et ça ne mène pas à une reconnaissance comme métier. »

« Ils n'ont aucune reconnaissance. Ces gens-là, ils finissent par quitter l'industrie. Ils s'en vont dans le minier, ils s'en vont comme arpenteurs géomètres, dans les municipalités où, même à la limite, ils s'en vont pour des compagnies d'ingénieurs, parce qu'ils ont une reconnaissance pour le travail qu'ils font. Il y a plus de 50 % des finissants qui s'en vont directement en géomètres et qui ne viennent même pas dans la construction. Pourtant, on est en manque d'arpenteurs au niveau de l'industrie. »

La loi n'a été que très peu modifiée depuis une quarantaine d'années. « On est prêt à la moderniser, à la mettre à l'ère 2024. »

« Tant qu'à mettre une pression, autant en mettre sur l'employeur autant que sur les syndicats. Il n'y a rien comme loi anti-briseurs de grève. Nous autres, on déclenche la grève demain matin, on peut aller travailler quand même. C'est quoi notre rapport de force? » ​

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