L'Étoile du Nord

Année mouvementée dans le mouvement ouvrier

Les grèves et les luttes qui ont marqué 2024

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Si vous pensiez que les conflits de travail allaient ralentir après les tumultes de 2023, détrompez-vous. Entre les grèves, les lois spéciales, et les patrons paniqués, les travailleurs ont prouvé qu’ils étaient loin d’avoir dit leur dernier mot. Voici un tour d’horizon de 2024, une année de combat bien remplie.

Au courant de 2024, comme en 2023, il y a eu plus de 700 arrêts de travail dû à des conflits comme des grèves ou des lock-outs. Depuis 2010, ce sont les deux années les plus agitées dans le mouvement ouvrier. À titre de comparaison, la troisième position de ce classement des années ayant vu le plus de conflits de travail au Canada, c’est l’année 2012, avec 281 conflits. L’inflation et les mauvaises négociations collectives durant la pandémie ont beaucoup appauvri les travailleurs et ceux-ci tentent donc de se rattraper.

Cependant, l’État s’est mis dans le chemin des syndicats avec sa tendance à intervenir de plus en plus en faveur du patronat, quand il n’est pas lui-même le patron. Dans le rail, dans les ports et chez les postiers, on a vu l’État fédéral ou des gouvernements provinciaux intervenir pour diminuer les effets des grèves, ou même pour les interdire. Dans le secteur public, c’est surtout la menace de loi spéciale enlevant le droit de grève qui a démoralisé et a poussé les syndicats à signer des ententes à rabais sans trop combattre.

Secteur public

En décembre 2023, la tension était à son comble entre le gouvernement et le Front commun de la fonction publique québécoise, qui regroupait 420 000 syndiqués. Beaucoup se demandaient si cette confrontation allait exploser en conflit ouvert avec une grève générale illimitée. Une entente de principe survenue à la veille du changement d’année est cependant venue éteindre le feu et en février. Les syndiqués l’ont adopté.

En avril, les membres de la FIQ, qui regroupe principalement des infirmières, ont voté majoritairement contre une entente de principe. Ceux-ci ont finalement accepté une offre du conciliateur à l’automne. Agissant en solo, les infirmières québécoises n’ont pas essayé de faire grève dans toute l’année 2024. La FIQ a menacé de cesser les heures supplémentaires dès le 19 septembre, mais le Tribunal administratif du travail l’a contrainte à abandonner ce moyen de pression, jugé illégal.

En Nouvelle-Écosse, 10 000 enseignants et enseignantes ont obtenu une entente après avoir brandi la menace de la grève. Les enseignants des collèges de l’Ontario (15 000 membres) tentent pour leur part de réaliser la même chose après s’être dotés d’un mandat de grève en novembre. Ceux-ci veulent profiter d’améliorations de leurs conditions grâce à l’excédent d’un milliard de dollars réalisé par les collèges l’an dernier.

Les infirmières du Nouveau-Brunswick, en négociations toute l’année, ont pour leur part rejeté à majorité une convention collective en septembre, pour finalement arriver à une entente en décembre. Elle leur donnerait chacune une prime pouvant théoriquement aller jusqu’à 10 000$. Les infirmières du SCFP (environ 1 600 personnes) refusent cependant de signer avant que le gouvernement retire une loi antisyndicale de 2013 qui affaiblit leur fonds de pension.

25 000 travailleuses et travailleurs situés au bas de l’échelle dans la santé au Manitoba ont, pour leur part, obtenu un gain moyen de 27% sur quatre ans (6,75%/an). Ils se préparaient à faire grève, mais l’employeur a finalement abandonné et a proposé une entente satisfaisante pour eux.

Hôtellerie

La crise pandémique et ses ravages sur l’industrie touristique étant de plus en plus loin, les travailleurs des hôtels ont retrouvé un certain mordant dans leur combat pour leurs conditions de travail. Pendant leurs dernières négociations, de nombreux syndicats devaient faire face à la baisse des profits des grandes chaînes hôtelières. Aujourd’hui, ces profits sont en constante hausse. Un syndicat de la chaîne Marriott donnait comme démonstration que l’augmentation du prix des chambres est de plus de 100% depuis la fin de la pandémie.

À Vancouver, les hôtels Holiday Inn and Suites, Hyatt Regency et Residence Inn ont démarré des grèves durant l’année. L’hôtel Sheraton, qui était en grève depuis 14 mois, a pour sa part déclaré victoire après un conflit où des briseurs de grève étaient utilisés. De son côté, le Radisson Blu Hotel en est à sa troisième année de grève et, là aussi, des scabs sont utilisés. La grève de ce dernier hôtel avait démarré suite au licenciement de 143 travailleurs. À ces grèves se sont greffés des boycotts, dont un ayant été appelé par la mairie de Richmond.

Au Québec, 31 syndicats de la CSN ont fait front commun pour les négociations dans l’hôtellerie, amenant d’abord une ambitieuse demande de 36% d’augmentation de salaire sur 4 ans. La majorité des syndicats ont cependant plié et ont décidé de se contenter de 21% sur 4 ans. Ceux-ci semblent avoir abandonné leur objectif de rattraper leurs pertes suite aux ententes favorables au patronat faites durant la pandémie (2% par année, alors que l’inflation approchait le 7% en 2022).

Cette mobilisation coordonnée a amené une journée de grève en août où 2 600 personnes cessaient en même temps le travail. Une dizaine d’hôtels n’ont toujours pas signé d’entente avec leur employeur. Hors de la négociation coordonnée, puisqu’affiliés aux Métallos, les employés du Comfort Inn de Baie-Comeau sont pour leur part en grève générale illimitée depuis le 22 mars. 

Débardeurs

L’année 2024 a été marquée par de nombreux conflits de travail dans les ports. Le 1er octobre, la totalité des grands ports de la côte est de l’Amérique du Nord, à l’exception de ceux du Mexique, étaient en grève ou en lock-out (Québec, Montréal et 36 ports des États-Unis). 

En Colombie-Britannique, les tensions étaient déjà là depuis 2023, mais cette année, ce sont les débardeurs des silos à grain qui ont fait grève pendant quatre jours en septembre. Les employeurs criaient à l’intervention de l’État et ont fini par obtenir gain de cause. Le patronat a décrété un lock-out contre les débardeurs le 4 novembre, avant que l’État ne force leur retour au travail 10 jours plus tard.

À Montréal, après des grèves partielles illimitées visant les terminaux de la compagnie Termont, le cartel des employeurs du Port de Montréal a décrété un lock-out le 10 novembre. Six jours plus tard, l’État forçait le retour au travail des débardeurs.

Au Port de Québec, le lock-out avait commencé bien avant ceux de Vancouver et Montréal. En novembre, il en était à son 28e mois, soit près de 800 jours. L’État canadien est cependant venu forcer le retour au travail le 12 novembre, coupant l’herbe sous le pied du syndicat qui tenait bon depuis plus de deux ans.

Le port fonctionnait au moins minimalement grâce au travail soutenu de briseurs de grève. Malgré une loi fédérale votée cette année, notamment suite aux pressions des débardeurs de Québec, les scabs avaient le champ libre jusqu’en juin 2025, date d’application réelle de la loi.

Trains

Le patronat du rail a suivi le même procédé que celui des ports pour éviter une grève qui ferait baisser temporairement leur profitabilité.

Les travailleurs du Canadien National et du Canadien Pacifique Kansas City avaient voulu faire grève en mai, mais l’État canadien les avait forcés à retarder leurs moyens de pression et à faire ainsi expirer leur mandat de grève. La deuxième tentative de grève a, quant à elle, été reçue avec un lock-out par l’employeur, suivi moins de 24 heures plus tard par une intervention de l’État forçant le retour au travail. 

Postes

Les 55 000 travailleurs de la poste ont déclenché leur grève à la mi-novembre et elle s’est terminée à la mi-décembre. Sous les attaques constantes des grands médias et de leur employeur, les travailleurs ont multiplié les coups d’éclat. Finalement, le gouvernement a utilisé le même article 107 que pour les ports et le transport ferroviaire pour mettre fin au conflit de travail de façon prématurée.

Toutefois, au lieu d’imposer un arbitrage, le gouvernement a demandé à un commissaire d’enquêter sur les relations de travail dans la société d’État de même que sur son modèle d’affaires. Il devra remettre ses recommandations à la mi-mai, et la convention collective a été prolongée jusqu’au 22 mai. Les postiers recouvreront le droit de grève à cette date.

Transport de passagers

Les chauffeurs d’autobus scolaires québécois ont lutté durant 2024 pour que les 122 M$ donnés par François Legault aux compagnies de transport scolaire servent aussi à améliorer leurs conditions de travail. Plusieurs syndicats ont ainsi gagné des augmentations approchant les 10% par année. Par exemple, un syndicat Teamsters a obtenu une hausse de 67% sur 6 ans. 

En 2023 et 2024, 19 syndicats d’autobus de la CSN ont fait grève, sur un total de 32 négociations. Trois syndicats de compagnies appartenant au Groupe  Gaudreault sont d’ailleurs encore en grève: le Syndicat des chauffeurs d’autobus de Brissette & Frères, le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Transcollin et le Syndicat des travailleuses et travailleurs des Autobus Gaudreault.

Une centaine de chauffeurs d’autobus scolaires de Sault Ste. Marie ont obtenu un peu moins de 5% par an d’augmentation salariale en janvier. En juillet, ce sont les 90 chauffeurs de la Seine River School Division au Manitoba qui ont obtenu une nouvelle convention collective après avoir refusé une première entente et avoir menacé de faire grève.

Ce ne sont pas tous les chauffeurs d’autobus, cependant, qui ont négocié de bonnes ententes. Par exemple, les employés de la Prairie Land School Division en Alberta ont obtenu des hausses salariales n’atteignant pas le 2% par année.

Les chauffeurs d’autobus des sociétés de transport en commun ne furent pas en reste. Si aucune grève générale illimitée n’a éclaté cette année, les syndicats y ont eu recours de manière ponctuelle, mais aussi comme menace.

À Sherbrooke, au Québec, les travailleurs ont fait grève pour 4 jours en septembre. Les salariés de la STS sont divisés en 4 syndicats selon le métier, mais ils font front commun pour les négociations de 2024. Il faudra voir si la lutte de ce syndicat résonnera avec les négociations à venir des autres travailleurs au Québec, comme les mécaniciens de la STM.

À Toronto, une grève du transport en commun était prévue le 7 juin, mais une entente de dernière minute l’a évitée. Celle-ci donnait aux employés une augmentation de 13% sur 3 ans.

Dans la même province, à Guelph, les travailleurs ont eux aussi obtenu un bon contrat après avoir brandi l’arme de la grève, obtenant une entente moins de deux jours avant la date prévue de l’arrêt du travail. En négociations depuis le 31 mars dernier, les cols de bleus de Brampton, notamment des employés du transport en commun, ont fait une journée de grève au début novembre.

En Colombie-Britannique, les quelque 150 superviseurs de Coast Mountain Bus (qui exploite les autobus du transport en commun de Vancouver) ont, au début de l’année, fait planer la menace d’une paralysie partielle du transport en commun de cette grande ville. Cependant, il y a eu une entente le 1er février, veille de la date prévue de leur grève.

À Kootenay en Colombie-Britannique, les traversiers sont en grève depuis le 3 novembre, alors que l’État force le syndicat à opérer trois traversiers par jour malgré la grève. Sans contrat depuis le 1er avril, les employés québécois du traversier Matane–Baie-Comeau–Godbout et de la traverse Québec-Lévis ont fait une dizaine de jours de grèves cette année, dont une séquence durant les vacances de la construction qui a fait pression sur l’industrie touristique. Les officiers mécaniciens et de navigation ont aussi fait une grève durant le mois de juin, paralysant les traversiers qui desservent Québec, Lévis, Sorel-Tracy et Matane.

Dans l’aviation, où les grèves sont plutôt rares, les travailleurs essentiels au bon fonctionnement des vols ont eux aussi su profiter de leur rôle stratégique pour faire des pressions sur leur employeur. La médiatisée menace de grève des pilotes d’Air Canada leur a ainsi amené des gains de 42% en salaire sur 4 ans.

Chez Air Transat, ce sont plutôt les agentes de bord qui ont menacé d’avoir recours à la grève cette année pour améliorer leurs conditions. Les 2 100 salariés ont rejeté deux ententes de principe en janvier, pour finalement, en février, voter à 63% en faveur d’une entente leur donnant 6% d’augmentation salariale annuelle, en plus de bonifier leurs congés et vacances.

Parapublic 

Au Québec comme en Ontario, les syndicats des employés des magasins d’alcool de l’État provincial se préoccupaient particulièrement des travailleurs occasionnels ou temps partiels dans les négociations qui avaient lieu cette année. Ceux-ci représentent 70% des employés de la SAQ et de la LCBO.

Le syndicat de la LCBO en Ontario ajoutait à ses revendications le maintien des clauses dans sa convention collective qui limitent la privatisation de la vente d’alcool et garantissent du même coup une stabilité d’emploi à ses membres. Les membres du syndicat ont ratifié une entente avec leur employeur à la fin juillet, après 2 semaines de grève.

Les employés de la SAQ, au Québec, ont pour leur part ratifié une entente en décembre après plus d’un an de négociations. Ceux-ci ont fait quelques coups d’éclat durant cette période, comme l’occupation du Palais des congrès en avril et cinq « grèves surprises » d’une journée. 

Autre société d’État: Hydro-Québec est actuellement en négociation avec plusieurs syndicats à la fois. Cette année, c’est surtout la campagne contre la privatisation de l’électricité qui a été le fer de lance de ces syndicats, mais durant l’automne le ton s’est durci et plusieurs mandats de grève ont été votés. Les spécialistes et professionnels (SCFP 4250), les travailleurs de techniques professionnelles et de bureau (SCFP 2000), les employés de réseau (SCFP 5735) et les infirmières de chantier (SCFP 5514) se sont dotés de pareils mandats, soit près de 8 000 personnes.

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