L'Étoile du Nord

Entrevue avec Alexis Lafleur-Paiement

L’histoire du droit de grève au Québec

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Suite à l'annonce du projet de loi 89 (PL89) du ministre du Travail Jean Boulet, certains syndicats et organismes ont reproché à la CAQ de s'inspirer du gouvernement de Duplessis. L'Union nationale, le parti de Duplessis, était farouchement opposée à toute tentative d'organisation de la classe ouvrière. Durant la Grande Noirceur (période du règne duplessiste), les grèves étaient illégales et réprimées violemment.

Pour mieux comprendre ce qui a changé depuis et comment les travailleurs ont pu faire reconnaître leur droit de grève, l'Étoile du Nord s'est entretenue avec Alexis Lafleur-Paiement, doctorant en philosophie politique et chargé de cours à l’Université de Montréal. Il est spécialiste des institutions politiques, ainsi que des conflits sociaux.

Pour M. Lafleur-Paiement, une chose est claire, les mesures répressives comme le PL89 ne sont pas une nouveauté: 

« Depuis les débuts du capitalisme, l’État comme le patronat utilisent tous les moyens à leur disposition pour réprimer les travailleurs. Cela inclut des lois spéciales, des décrets gouvernementaux, des amendes, des arrestations, diverses stratégies antisyndicales, l’appel aux briseurs de grève ou encore la délocalisation. »

D'après lui, c'est simplement la forme que prennent ces attaques qui changent: 

« Avant, l’État pouvait emprisonner directement ses employés qui menaient une grève; maintenant, il doit imposer une loi spéciale avant de procéder à la répression. Dans le secteur privé, les nouvelles législations ont diminué la violence physique contre les travailleurs, mais on voit encore de la répression, des licenciements, l’appel à des briseurs de grève, etc.»

M. Lafleur-Paiement tire aussi un lien évident entre la combativité des travailleurs et la reconnaissance de leurs droits par l'État. 

« On constate que les gains concernant le droit d’association et le droit de grève correspondent aux moments des plus fortes luttes ouvrières (années 1870, années 1930 et années 1970). C’est la détermination des ouvriers lors de plusieurs conflits dans les années 1970, allant jusqu’à l’affrontement avec les milices patronales comme à la Robin Hood en 1977, qui ont forcé l’adoption d’une loi anti-briseurs de grève. »

« Plus récemment, c’est le combat des employés de la Saskatchewan qui a mené à un jugement de la Cour suprême du Canada, en 2015, qui consolide le droit de grève et qui fait maintenant autorité partout au pays. »

Il explique que les lois adoptées par les gouvernements fédéraux et provinciaux sont parfois de bien maigres compromis si on les compare aux revendications des travailleurs. 

« Ce n’est qu’en 1934 que le gouvernement fédéral reconnaît le droit de faire du piquetage pour informer la population quant aux raisons d’un arrêt de travail. L’interdiction de recourir à des briseurs de grève date de 1977, à la suite des demandes répétées des travailleurs. Mais tous ces droits sont relatifs, puisque les gouvernements peuvent, encore de nos jours, intervenir à leur guise pour réguler ou mettre fin à un conflit de travail. »

L'universitaire ajoute que l'encadrement du droit de grève limite aussi les actions auxquelles peuvent avoir recours les syndicats dans la légalité. « Les moments où se déclenchent les grèves sont maintenant régulés (seulement lorsque les conventions collectives sont échues) et la manière de mettre fin au conflit est plus prévisible (une négociation encadrée par le Code du travail). »

« Les conflits de travail se déroulent dans des formes plus prévisibles, mais pas nécessairement meilleures pour les salariés. C’est uniquement la détermination des travailleuses et des travailleurs, leur unité et leur combativité qui peuvent leur garantir des gains. »

Pour le spécialiste des conflits sociaux, plus ils sont organisés, plus les travailleurs sont combatifs et font preuve de détermination. « Les moments les plus intenses en termes de conflits de travail correspondent aux périodes de développement des organisations ouvrières, par exemple, les années 1870 avec les Chevaliers du Travail, les années 1930 avec la montée des communistes, ou encore les années 1970. »

Il ajoute que l'organisation des travailleurs doit s'accompagner d'efforts d'unité et de politisation à travers les luttes ouvrières pour donner des résultats.

« Cette période (les années 70) correspond à une radicalisation et à une concertation des centrales syndicales québécoises, entraînant le plus haut taux de grève de l’histoire de la province. Actuellement, nous vivons aussi une période de repolitisation du mouvement ouvrier, avec une augmentation des grèves. »

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