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Les grèves qui pourraient secouer le Canada en 2024

Temps de lecture:7 Minute

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Alors que 2023 a vu une recrudescence des luttes syndicales combatives en Amérique du Nord, et même si le premier trimestre de la nouvelle année semble témoigner d'un ralentissement dans le mouvement ouvrier, le reste de l'année s'annonce mouvementé. De Poste Canada aux travailleurs dans l’industrie ferroviaire, en passant par les infirmières du Nouveau-Brunswick, l'Étoile du Nord vous présente un aperçu des potentielles grèves majeures qui pourraient marquer 2024.

En 2023, le mouvement de grève dans le secteur public québécois ainsi que les mouvements de grève des travailleurs de l'automobile et de UPS aux États-Unis ont captivé l'attention des médias et ont eu un impact significatif sur le mouvement des travailleurs. Pourtant, l'année 2024 pourrait se révéler tout aussi importante dans la lutte syndicale au Canada.

Poste Canada

Les conventions collectives des deux plus grands syndicats responsables de la distribution du courrier sont échues depuis le 31 décembre dernier. Le plus important des deux, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)​​​​​​ compte environ 54 000 membres à travers le Canada. Pour sa part, L’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints compte 11 000 membres et représente des salariés des régions rurales qui opèrent des petits bureaux de poste de village.

Outre les enjeux visant à rattraper la baisse réelle de salaire causée par l’inflation, les facteurs demandent des emplois plus stables (20 heures par semaine garanties pour les temps partiels), de l’air climatisé dans les véhicules de livraison et la fin de la sous-traitance de leurs tâches, entre autres.

En décembre, les pourparlers avec l’employeur se sont embourbés en ce qui a trait à l’espionnage des facteurs par les cadres de Postes Canada. La société d’État veut en effet, contre les volontés du syndicat, continuer de dépenser des fonds pour l’installation de systèmes de « télématique » dans les véhicules pour recueillir en tout temps des données précises sur les facteurs. 

Vers la fin février, la présidente du STTP, Jan Simpson, a publié un communiqué sur l'état des négociations, énonçant une liste de demandes de l'employeur qualifié de « recul » par celle-ci. Ces demandes incluent des réductions de congés pour les travailleurs et une réduction des primes pour les heures supplémentaires.

Rappelons que les négociations entre la STTP et Poste Canada ont un passé tumultueux. La grève de 2011 s’est terminée avec l’adoption d’une loi spéciale forçant le retour au travail des facteurs par le Parlement, qui a été jugée illégale cinq ans plus tard. Malgré ce jugement, le gouvernement a encore eu recours à une loi spéciale pour mettre fin à la grève de 2018. Les négociations entre les deux syndicats et leur employeur Poste Canada pourraient être longues et ardues.

Travailleurs des chemins de fer

Les travailleurs des rails en emploi pour le Canadien National (CN) et pour le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) sont actuellement en négociation pour leur convention collective. Uni dans la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC), ce syndicat représente environ 16 000 travailleurs dont 9 300 sont impliqués dans cette négociation.

L'un des points clés de ce conflit concerne la volonté du CN et de CPKC de retirer les clauses sur le repos des travailleurs des conventions collectives. Cela signifierait que les conditions de repos seraient ramenées au niveau minimal prévu par la loi canadienne : « Le CN et le CPKC cherchent à éliminer de nos conventions collectives toutes les dispositions relatives au repos. Ces articles essentiels à la sécurité ferroviaire puisqu’ils permettent aux travailleurs de mieux gérer leur niveau de fatigue. Nous souhaitons éviter un conflit de travail, mais la sécurité de nos membres et du public est non négociable, » a affirmé le président du syndicat, François Laporte.

Dans l’impasse, le CN et le CPKC ont tous deux déposé un avis de différend auprès du gouvernement pour nommer un conciliateur pour les négociations. Ce dépôt commence le compte à rebours pour le déclenchement d’une possible grève ou un lock-out d’ici le mois de mai.

En 2019, le syndicat des Teamsters avait déclenché une grève de neuf jours ayant eu un impact significatif dans le domaine de l’industrie et l’agriculture. Rappelons qu’aux États-Unis, le risque d’une grève dans l’industrie ferroviaire a forcé le président Biden à intervenir dans le conflit, imposant une convention collective avec d’importants gains salariaux, mais aucun congé maladie, un des principaux enjeux de cette grève.

Cols bleus

Les cols bleus de plusieurs villes à travers le pays, tels qu'à Edmonton, Calgary, Québec, Yellowknife, Richmond, Kingston, Red Deer, Kamloops et Mississauga ont vu leur convention collective expirer avec la nouvelle année. Sans une résolution rapide, des grèves pourraient éclater dans ces villes, ​​​​​comme c'était le cas à Westmount, Laval et Saint John l'année dernière. 

Port de Montréal

Moins de trois ans après la grève des débardeurs du Port de Montréal s'étant terminée par l'adoption d'une loi spéciale de retour forcé au travail par Ottawa, le local 375 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), représentant 1100 débardeurs, est de nouveau en négociations après l'expiration de leur convention collective le 31 décembre dernier. Les négociations débutent déjà dans un contexte tendu entre l'Association des employeurs maritimes (AEM) et le SCFP.

Le 25 février 2024, l'AEM publie une déclaration commune avec le syndicat des vérificateurs du Port de Montréal suite à la conclusion de leur nouvelle convention collective, où l'employeur ne laisse pas passer l'opportunité de viser directement les débardeurs en dénonçant la lenteur des négociations : « Les conséquences qui découlent de l’absence de progrès depuis septembre dernier risquent uniquement d’aggraver une situation déjà critique pour la population desservie par le Port de Montréal. » Quelques jours plus tard, le syndicat des vérificateurs va renier la déclaration, affirmant ne pas l'avoir lue avant qu'elle soit publiée à leur nom.

Une demande de services essentiels est en cours devant le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), une pratique de plus en plus courante au pays. Celui-ci déterminera quels services essentiels seraient à maintenir s'il y a grève. Entre-temps, il est impossible pour les travailleurs de partir en grève ou de mettre en place des moyens de pression.

Infirmières du Nouveau-Brunswick

6 500 infirmières du Syndicat des infirmières et des infirmiers du Nouveau-Brunswick sont actuellement en négociation pour une nouvelle convention collective. En automne 2023, les membres du syndicat avaient déterminé que les deux priorités devaient être l’amélioration de la rétention du personnel infirmier de la province, ainsi que la lutte au recours à des agences privées pour fournir du personnel aux établissements de santé.

Ces négociations se font dans un climat politique tendu au Nouveau-Brunswick, avec l’adoption d’une réforme visant à modifier le régime de pension de cinq groupes de travailleurs du secteur public dont les employés de soutien en éducation, les chauffeurs d’autobus, les employés et les infirmières en foyers de soins. Cette réforme, adoptée le 12 décembre dernier, est vivement contestée par le mouvement syndical, qui la considère comme une atteinte à leur droit de négociation puisqu'il impose unilatéralement le changement à un régime de pension « À risque partagé ».

Le SCFP a même évoqué la possibilité de grèves illégales de la part de leurs membres, en raison de la réforme qui les forcerait à adhérer au nouveau régime de pension.

Une grève des infirmières et des infirmiers du Nouveau-Brunswick pourrait rapidement créer un mouvement à saveur politique au sein du public au Nouveau-Brunswick, avec un support des autres syndicats affectés par les réformes.

Conclusion

En raison de la position stratégique essentielle de ces travailleurs dans l'économie et l'infrastructure canadiennes, leurs luttes syndicales pourraient être à l'avant-garde du mouvement des travailleurs au Canada cette année. Le déclenchement d'une grève dans l'un de ces secteurs pourrait mener le gouvernement fédéral à intervenir dans les négociations, que ce soit pour forcer un compromis ou pour imposer une loi spéciale obligeant le retour au travail.

C'est ce genre de mouvement et de combativité qui a profondément influencé les conditions de vie des travailleurs tout au long de l'histoire du Canada. Bien que le regain de combativité récent soit encourageant, une distinction majeure se trouve par rapport aux grandes grèves de la première moitié du 20e siècle jusqu'aux années 1970. Ces grèves ont été caractérisées par un soutien important de la population et une dimension politique prononcée, forçant ainsi les gouvernements à répondre aux besoins des travailleurs. C'est peut-être vers là que devra se tourner le mouvement ouvrier pour​​​​​​​ éviter les bilans mitigés. Mais la question demeure : comment reproduire ces bouleversements sociaux impliquant des enjeux plus vastes que leurs demandes immédiates, capables d'entraîner l'ensemble de la population dans leur sillage?

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