Face aux pratiques abusives de leur employeur, des travailleurs et travailleuses de Safeway à Winnipeg affirment que les TUAC ont un rôle important à jouer pour les aider à se tenir debout et à lutter pour mieux. Ils ajoutent aussi que le syndicat a été absent et qu’il doit commencer à prendre son rôle plus au sérieux.
Au cours des dernières semaines, L’Étoile du Nord a parlé avec plusieurs travailleurs au sujet de leurs expériences au sein de la section locale 832 des TUAC, qui représente les employés de Safeway partout au Manitoba. Parmi eux se trouvaient trois délégués syndicaux actuels ou anciens.
Tara dit qu’elle est devenue déléguée syndicale parce qu’elle voulait aider les gens. Elle se dit fière que ses collègues se sentent à l’aise avec elle, parce qu’elle fait l’effort d’être présente, d’écouter leurs problèmes et d’offrir des conseils. Lorsque l’occasion de devenir déléguée s’est présentée, elle a choisi de se lancer.
Francis, pour sa part, affirme que les travailleurs devraient « pouvoir se fier au fait qu’il y a quelqu’un vers qui ils peuvent se tourner pour obtenir de l’aide », et que, pour cette raison, il veut contribuer à renforcer l’unité et la force des travailleurs au sein des TUAC. Son intérêt pour les droits des travailleurs a attiré l’attention de son représentant syndical, qui l’a encouragé à devenir délégué.
Enfin, Jordan voit les syndicats comme importants à la fois pour protéger les intérêts des travailleurs et pour lutter en faveur de changements sociaux plus larges. Après plus de dix ans chez Safeway, il a décidé de devenir délégué parce qu’il voyait que cette fonction pouvait lui permettre d’aider ses collègues. Pour lui, « c’est une expérience positive de pouvoir être là pour les gens ».
En parlant à L’Étoile du Nord, des travailleurs de Safeway ont exprimé beaucoup d’enthousiasme à l’idée de remettre en question la vision et la culture qui dominent actuellement la chaîne d’épicerie, vision qui, selon eux, cause du stress, de la fatigue et des difficultés financières. Mais même si le syndicat peut être un outil puissant pour bâtir et faire avancer une vision menée par les travailleurs dans le milieu de travail, les travailleurs affirment également qu’il a des problèmes majeurs à régler.

Désengagement généralisé
Le syndicat a peut-être son importance pour eux, mais des travailleurs ont aussi dit à L’Étoile du Nord que la manière dont les TUAC font l’éducation des membres est largement insuffisante. Ils affirment qu’à l’heure actuelle, la section locale 832 des TUAC n’a aucun programme ni cours accessible à l’ensemble des membres, pour quelque raison que ce soit.
« Les gens ne connaissent pas le syndicat, ne savent pas comment il fonctionne, ne savent pas ce que les délégués peuvent faire, ni ce que peut faire le représentant syndical », dit Francis.
Selon lui, cela a mené à « une culture de travail où, neuf fois sur dix, les employés acceptent ce que dit la direction ». Cette culture d’inactivité rend le travail des délégués plus difficile: « Souvent, avant même que je puisse contester ce que la direction a dit, l’employé a déjà abandonné. »
Parce que le syndicat n’a pas montré aux travailleurs qu’il est possible de tenir tête à la direction et de gagner, beaucoup de problèmes en magasin ne sont jamais signalés, même dans des cas où les délégués en ont été témoins directs.
Les délégués affirment que le manque de formation a aussi limité leur capacité à mobiliser leurs collègues dans le syndicat. « Nous n’avons reçu pratiquement aucune formation ni soutien », dit Tara.
Francis explique que les formations que le syndicat offre actuellement aux délégués sont courtes, peu fréquentes, et qu’il n’a pas vu le syndicat investir beaucoup d’énergie pour y faire venir les délégués. Selon lui, le faible niveau d’investissement dans ces formations « contribue au fait que les délégués ne savent souvent pas ce qu’ils peuvent faire ni quels sont leurs pouvoirs ».
Francis a fait de son mieux pour assister aux cours, ce qui, selon lui, a signifié participer aux trois qui lui ont été accessibles au cours de la dernière année.
Cependant, il dit que les cours auxquels il a pu accéder l’ont laissé dans le flou quant aux limites du rôle et incertain quant à la manière de prendre des initiatives. Il dit en être ressorti avec l’impression que les délégués sont de simples preneurs de notes et témoins.
Des trois délégués actuels ou anciens à qui nous avons parlé, aucun n’a eu le sentiment d’avoir été outillé par le syndicat pour contester la direction.
Les travailleurs affirment que le leadership de leur représentant syndical a souvent aggravé cette confusion. Bien que la convention collective stipule que « les représentants syndicaux encourageront les délégués à […] tenter de résoudre les problèmes au niveau du magasin local », ils disent que leur représentant a fait exactement le contraire, encourageant à répétition les travailleurs à contourner complètement les délégués et à ne compter que sur lui.
Tara raconte que, durant son mandat de déléguée, son représentant syndical lui conseillait de lui transférer tous les dossiers qu’elle recevait, un représentant qui, selon elle, « semblait manquer d’ardeur pour vraiment se battre ou vraiment se soucier des problèmes » et « paraissait toujours pencher du côté de la direction ».
Voir des problèmes sérieux négligés de cette façon l’a menée à la frustration, puis à démissionner de sa fonction.
Les représentants syndicaux sont souvent responsables de plus d’une douzaine de lieux de travail, ce qui peut rendre difficile le traitement de tous les enjeux locaux. Les travailleurs de Safeway interrogés par L’Étoile du Nord estiment qu’en conséquence, les réponses des représentants syndicaux aux signalements ont été lentes et impersonnelles.
Au-delà du fait de priver de facto les délégués de la possibilité d’accomplir leurs tâches, les travailleurs interviewées affirment que l’inactivité du leadership a poussé de nombreux membres des TUAC chez Safeway à perdre confiance dans le syndicat et dans sa capacité à régler les problèmes sur le lieu de travail.
Selon Francis, le premier obstacle à la construction d’un syndicat plus fort chez Safeway, c’est qu’« il faut une culture dans laquelle les travailleurs se sentent en sécurité pour communiquer leurs problèmes au syndicat », mais, en raison du faible niveau de formation et de leadership reçu par les travailleurs, « cela n’existe pas en ce moment ».

Le changement commence avec les travailleurs
Des travailleurs affirment qu’il est possible de surmonter ces problèmes et que bâtir des TUAC plus forts est la clé d’un changement positif chez Safeway. D’après Francis, la première étape consiste en « un élan des membres pour se rencontrer et discuter, pour aborder les enjeux grands et petits, pour nourrir la solidarité entre collègues et simplement apprendre à se connaître », ajoutant qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que le syndicat l’encourage.
Il dit que parler plus ouvertement et plus souvent pourrait aider la main-d’œuvre « à penser au syndicat et à la façon dont il peut aider à résoudre leurs problèmes ».
Francis explique aussi qu’il y a des choses que le syndicat peut et devrait faire pour aider les travailleurs dans cette voie : « un représentant plus présent et des délégués plus outillés pourraient constituer un rappel constant que les TUAC sont bel et bien là », dit-il.
« Je pense que le fait que mes collègues puissent faire confiance à quelqu’un auprès de qui obtenir de l’aide, capable de faire valoir la convention collective, encouragerait les membres à interagir avec leur syndicat et à apprendre leurs droits. »
Les travailleurs de Safeway ont exprimé ce souhait de voir le syndicat plus actif dans le milieu de travail. Bien qu’elle ait été déléguée, Tara dit avoir eu « très peu d’interactions avec le syndicat. En 3 ans, j’ai peut-être rencontré notre représentant deux fois? Ça me paraît trop peu. Je vois le gérant tout le temps: on devrait voir le syndicat tout aussi souvent. » Jordan propose que le syndicat « fasse davantage pour soutenir les délégués et pour s’assurer que les gens savent que ce qu’ils font est important ».
Francis souligne que, peu importe l’aide qui vient d’en haut, les travailleurs doivent savoir que le changement part d’eux. « Pour moi, des TUAC forts seraient des TUAC unis. La plupart de mes collègues ne connaissent pas les autres collègues du magasin, encore moins qui sont leurs délégués ou qui est leur représentant. Je pense que cela a conduit la majorité des membres à régler les problèmes seuls, ou à ne jamais soulever ce qui les préoccupe. Une main-d’œuvre plus unie pourrait porter des enjeux à la direction ensemble, et pas seulement pendant la négociation collective, mais en tout temps. »
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