Utilisation de la clause dérogatoire

Les profs albertains forcé de rentrer en classe après une autre ingérence

Le gouvernement conservateur uni (UCP) de l’Alberta a invoqué la « clause dérogatoire » pour suspendre les droits garantis par la Charte aux travailleurs et mettre fin à la grève de 51 000 enseignants contre les coupes dans l’éducation publique. Le de la Fédération du travail de l’Alberta, qui représente plus de 350 000 travailleurs, affirme se préparer à une « si nécessaire ».

Déclenchée le 6 octobre, la grève est devenue un point d’ébullition dans la campagne du gouvernement de Danielle Smith visant à renforcer les intérêts privés dans l’éducation. Cette politique, selon les enseignants, met en péril leurs et le droit des élèves à une éducation de qualité.

« Certaines personnes croient que si nous coupions tout financement aux écoles privées pour transférer l’argent au système public, les problèmes seraient réglés. Moi, je vois les choses à l’inverse », a déclaré Smith plus tôt ce mois-ci.

Illustrant cette « vision inverse », le gouvernement UCP a adopté mardi la loi Retour à l’école, qui met fin à la grève et impose un contrat rejeté massivement par les enseignants en septembre.

Pour y parvenir, le projet de loi invoque la clause dérogatoire afin de suspendre les droits syndicaux garantis par la Charte. Le président de la Fédération du travail de l’Alberta, Gil McGowan, a qualifié ce geste « d’acte de guerre » contre les travailleurs. La clause dérogatoire permet aux gouvernements fédéral ou provinciaux de neutraliser temporairement certains droits de la Charte canadienne des droits et libertés pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans.

Pour s’assurer que ce projet de loi historique ne soit pas ralenti par le processus démocratique, à peine une heure de débat a été allouée à chaque lecture.

Des syndicats sous attaque

Ces derniers jours, plusieurs commentateurs ont qualifié le comportement du gouvernement UCP d’« inédit », mais une vue d’ensemble des récents événements au Canada laisse plutôt croire qu’il s’agit de la pointe de l’iceberg d’une tendance à l’échelle du pays.

Depuis juin 2024, le a invoqué l’article 107 du Code canadien du travail pour casser sept grèves différentes. L’article 107 donne au ministre du Travail le pouvoir d’imposer l’arbitrage aux grèves jugées menaçantes pour la « paix industrielle ».

La fréquence de ces interventions a été mise en lumière plus tôt cette année lorsque le PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, a reconnu avoir négocié de mauvaise foi pendant neuf mois dans l’espoir que le gouvernement fédéral mettrait fin à la grève des agents de bord. Cet espoir s’est toutefois effondré lorsque les travailleurs ont défié l’.

L’usage abusif de l’article 107 par le gouvernement fédéral ces dernières années a instauré un rythme effréné d’ingérence étatique contre les travailleurs. Cette tendance pourrait être renforcée par la récente décision du Conseil canadien des relations industrielles confirmant la constitutionnalité de cette disposition.

Mais le gouvernement fédéral n’est pas seul, alors que plusieurs provinces ont aussi cherché à écraser des grèves. Un cas marquant est celle des travailleurs du soutien scolaire en 2022, que le gouvernement ontarien de Doug Ford a tenté d’interrompre en adoptant une loi fondée sur l’article 33 de la Charte, la clause dérogatoire.

Bien que cette clause ait déjà été utilisée pour divers motifs, son emploi afin de casser une grève n’a encore jamais été établi comme précédent. C’est ce que le gouvernement Ford a tenté de faire en 2022.

En riposte, le syndicat SCFP a poursuivi la grève malgré l’ordre, obtenant en quelques jours le retrait complet de la loi que les dirigeants syndicaux avaient qualifiée de « boîte de Pandore ».

Vers une grève générale?

Au moment où la loi a été annoncée, la grève des enseignants albertains avait déjà donné lieu à plusieurs manifestations massives organisées par l’Association des enseignants de l’Alberta (Alberta Teachers Association, ATA), qui représente les professeurs des écoles publiques. Le 23 octobre, plus de 30 000 enseignants, parents et élèves s’étaient rassemblés devant l’Assemblée législative de l’Alberta.

Après l’adoption du projet de loi mardi matin, le président de l’ATA, Jason Schilling, a déclaré que le syndicat entendait « se conformer à la loi », tout en lançant une contestation judiciaire de l’usage de la clause 33 par le gouvernement. Ce que le syndicat prévoit de faire en cas d’échec devant les tribunaux reste flou.

Alors que l’ATA semble miser sur la voie légale, des étudiants, travailleurs et syndicats insistent sur la nécessité de transformer le soutien public aux enseignants en action collective d’envergure. L’Association des étudiants albertains pour les grèves scolaires prévoit organiser jeudi des sit-ins et des marches dans au moins 45 écoles.

Depuis l’annonce du projet de loi la semaine dernière, le Front commun menace une « réponse sans précédent » à l’usage de la clause 33.

Lors d’une conférence de presse aujourd’hui, Gil McGowan a appelé à bâtir un mouvement « si grand et si populaire que nous soyons tous défendus », affirmant que l’objectif ultime est de « faire tomber le gouvernement ».

Il a précisé que tous les syndicats représentés par la Fédération du travail de l’Alberta et le Front commun allaient consulter leurs membres sur la possibilité d’une grève contre la loi.

Le syndicat UFCW Local 401, qui représente 32 000 travailleurs albertains, a déjà publié les résultats d’un sondage indiquant que 69 % de ses membres se disent prêts pour une grève générale. McGowan a reconnu qu’une telle mobilisation nécessiterait du temps pour être préparée.

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