Une technologie archaïque empoisonne les citoyens

À Blainville, la CAQ choisit Stablex plutôt que la santé publique

Expropriation forcée par la CAQ, déchets dangereux venus des États-Unis, inquiétudes croissantes: il n’en fallait pas plus pour qu’un mouvement de citoyens, de syndicats et de militants se forme en début d’année à Blainville. Leurs initiatives, leurs recherches et un rapport accablant du BAPE lèvent aujourd’hui le voile sur l’ampleur des risques pour la santé que représentent, quarante ans plus tard, les installations de Stablex.

Qu’est-ce que Stablex fait, et pourquoi on en parle maintenant?

Depuis les années 80, l’usine américaine d’enfouissement de déchets dangereux Stablex importe des produits tel que l’arsenic, le plomb, le cadmium, le cyanure, le chrome pour les traiter puis les enterrer tout près d’un quartier résidentiel de Blainville. Environ 70% des déchets viennent du côté sud de la frontière. 

Stablex appartient à la plus grosse compagnie de gestion de déchets des États-Unis, Republic Services. Republic Services appartient à 35% à la firme d’investissement de Bill Gates, Cascade Investments. Les autres actionnaires sont des firmes d’investissement trillionnaire comme Vanguard, Blackrock et State Street Corporation (Union Bank).

En 1981, le avait autorisé Stablex à mettre en service une 6e cellule d’enfouissement pour augmenter leur capacité à un total de neuf mètres cube vers 2040. Mais il y a 40 ans, Blainville n’était pas une ville avec un quartier résidentiel développé autour de l’usine.

C’est pourquoi, à la fin de la dernière décénnie, l’entreprise avait fait une nouvelle proposition pour s’éloigner un peu des quartiers résidentiels, demandant en retour de poursuivre ses activité d’exploitation jusqu’en 2065.

Un nouveau terrain plus éloigné, appartenant à la ville de Blainville, a été vendu à Stablex pour 14 millions de dollars, à condition que la compagnie obtienne les autorisations nécessaires pour commencer le projet.

En 2023, après que l’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ait été rendue publique, une résolution unanime de la part des élus municipaux a été adoptée pour annuler l’entente avec la compagnie américaine. Mais Stablex a répliqué que la résolution n’avait aucune valeur légale, soutenant qu’elle ne respectait pas les conditions prévues au contrat.

En mars 2025, le gouvernement Legault est parti à la rescousse de Stablex pour permettre à l’entreprise de lancer ses travaux « urgents » , pour éviter un « bris de service ». La CAQ a ainsi utilisé une procédure législative d’exception (le « bâillon ») pour contourner les étapes normales et exproprier le terrain de la Ville de Blainville sans processus démocratique.

A noter que Stablex elle-même affirme que, sans la cellule numéro 6, elle ne sera pas à sa capacité maximale avant 2027. Selon le rapport du BAPE, l’entreprise aurait de l’espace jusqu’en 2030.

Une technologie ni efficace, ni sécuritaire

Le traitement des déchets chez Stablex repose sur un procédé britannique de 1973 appelé « Sealosafe », qui consiste à mélanger les déchets à du béton avant de les enfouir dans des fosses protégées par une couche d’argile censée éviter toute infiltration.

Jugée obsolète depuis plus de 35 ans au Royaume-Uni, cette méthode s’avère encore plus inefficace dans le climat québécois: selon Daniel Green, un biologiste, la pluie et le gel empêchent le béton de se solidifier complètement, ce qui permet aux contaminants de s’infiltrer dans le sol et l’eau. Un rapport de la police verte, dès 1990, confirmait déjà que le procédé n’était pas « inerte ».

Stablex revendique que ses déchets sont non seulement inerte, mais qu’ils le sont aussi de façon permanente. Pourtant, dans un communiqué de Solomax, le fournisseur de la géomembrane utilisée chez Stablex, celui-ci affirme qu’elle n’est garanti que pour une durée de cinq ans.

De plus, selon le BAPE, Stablex n’a jamais évalué la qualité du sol ni de l’eau autour de son site depuis plus de 40 ans, s’appuyant uniquement sur des tests en laboratoire pour juger de l’efficacité de son procédé. Le rapport recommande au ministère de l’Environnement d’exiger des analyses directes sur les cellules d’enfouissement et conclut que le projet d’agrandissement ne devrait pas être autorisé, faute de garanties sur ses impacts sur la et l’environnement.

C’est sans compter que la nouvelle cellule numéro 6 ne sera pas comme les autres, enfouie sous la terre. Ce sera une montagne de déchets entreposée à ciel ouvert. Une montagne de huit étages de haut, ou 22 mètres, remplie de produits dangereux, juste à côté d’une ville majoritairement résidentielle avec un peu moins de 60 000 habitants.

A quoi ressemble donc la qualité de l’environnement à Blainville ?

Ni la compagnie ni le ministère n’ayant jugé pertinent de vérifier la qualité de l’eau et du sol autour du site de Stablex avant tout récemment, une trentaine de citoyens ont décidé de le faire eux-mêmes, au printemps dernier. Ils étaient accompagnés du biologiste Daniel Green pour s’assurer de l’exactitude des résultats.

Les résultats n’ont fait qu’aggraver l’inquiétude des citoyens, désormais rassemblés dans la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex. Les analyses citoyennes ont révélé des concentrations alarmantes de métaux toxiques: jusqu’à 320 fois le seuil sécuritaire de cadmium dans l’eau près de l’usine, 57 fois dans le sol du fossé voisin, et des niveaux non sécuritaires d’arsenic, de cuivre, de chrome et de nickel, notamment dans le ruisseau Lockhead, à proximité de quartiers résidentiels.

Le ministère de l’Environnement a récemment avoué avoir fait une campagne d’échantillonnage sur le sol et l’eau près du site de Stablex dès 2024. Ils n’en annonceront toutefois les résultats au public que plus tard « cet automne ». Contredisant les analyses citoyennes, le gouvernement a indiqué que, selon le rapport d’inspection, Stablex « respecterait les normes environnementales en vigueur ».

Le ministère a aussi publié un rapport sur la qualité de l’air autour de l’entreprise disant: « Il n’y a présentement pas d’inquiétudes à avoir sur le plan de la qualité de l’air. » Mais il n’y a présentement aucune étude qui démontre que la nouvelle méthode d’entreposage des déchets, en montagne à l’air libre, n’affectera pas la qualité de l’air à long terme.

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