L'Étoile du Nord

Obligés de travailler dans un vortex polaire

Des livreurs d’Amazon ont quitté leur travail à cause du froid extrême

Temps de lecture:4 Minute

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Au cours du premier week-end de février, un vortex polaire a amené des températures basses record dans l'est du Canada. Malgré des conditions météorologiques brutales, les livreurs d'Amazon ont été contraints de travailler pendant plusieurs jours consécutifs dans un froid si intense que "la peau exposée peut geler en 5 à 10 minutes", selon le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail. À Montréal, où les températures sont descendues jusqu'à -42 °C, huit chauffeurs de Endmile Logistics, un Partenaire de Service de Livraison (PSL) d'Amazon, ont démissionné après avoir été informés qu'ils devraient travailler.

Selon Jesse Chase, un chauffeur qui travaille pour Endmile Logistics, "Amazon fixe la limite à partir de laquelle on arrête de travailler à -45°C, donc on était vraiment à la limite". Le jour le plus froid du vortex polaire, alors qu'il faisait -42°C avec le refroidissement éolien, 8 chauffeurs de ma PSL ne se sont pas présentés, et quand le répartiteur a appelé pour savoir pourquoi, ils n'ont plus jamais répondu.

Christopher Monette, directeur des affaires publiques de Teamsters Canada, un syndicat qui représente les travailleurs d'UPS et de Purolator, a déclaré à L'Étoile du Nord que "la loi ne précise pas à partir de quelle température il fait trop froid pour travailler à l'extérieur. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il existe un vide juridique. L'employeur a toujours la responsabilité de fournir un environnement de travail sûr". Dans le cas d'Amazon, son système de PSL brouille les pistes quant à la responsabilité de l'employeur. 

Le système PSL d'Amazon est un réseau d'entreprises sous-traitantes qui répondent à une grande partie des besoins de livraison d'un entrepôt à l'autre. La compagnie aujourd'hui gère plus de 3 000 PSL dans le monde, qui emploient directement plus de 275 000 chauffeurs, et ont généré un revenu de 26 milliards de dollars pour l'entreprise au cours des quatre dernières années. Bien qu'ils soient des "entrepreneurs indépendants", les chauffeurs des PSL sont soumis à un ensemble de règles d'Amazon, à des tests de dépistage de drogues et à une surveillance constante à l'intérieur du véhicule, qui supervise chacune de leurs livraisons.

Toute personne disposant de 30 000 dollars en banque peut créer une PSL. Elle peut alors employer jusqu'à 100 travailleurs et exploiter jusqu'à 40 véhicules. Chase explique ce que c'est que d'être chauffeur d'une PSL: "Les gars qui gèrent ma PSL me devaient plus de 2 000 dollars en temps supplémentaire et quand je les ai confrontés à ce sujet-là et que j'ai évoqué les lois du travail qu'ils ont enfreint, ils m'ont renvoyé chez moi comme punition... Ils s'en tirent avec pas mal de choses". 

Chase poursuit: "On a reçu des directives d'Amazon nous disant qu'on devait éteindre nos van à chaque fois qu'on faisait une livraison, pour économiser de l'essence ou je sais pas quoi. Mais qu'est-ce qu'on est censé faire quand il fait -40°C ? Ces camionnettes-là ont déjà tellement de problèmes que je ne vais pas les éteindre par ce temps-là. Notre PSL nous a dit de laisser tourner nos camionnettes pendant toute la durée du vortex polaire, mais parfois, on a du mal à savoir qui on doit écouter".

Pendant la rédaction de cet article, Chase a été renvoyé d'Endmile Logistics après avoir déposé une plainte auprès de la Commission des normes du travail, de l'équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), pour les heures supplémentaires qui ne lui avait pas été entièrement payées.​​​​ "Une semaine après qu'ils m'aient renvoyé chez moi parce que j'avais demandé le paiement de mes heures supplémentaires, j'ai commencé à voir mes heures de travail annulées. Après avoir annulé trois de mes quarts de travail d'affilée, les propriétaires m'ont appelé pour me dire qu'ils mettaient fin à mon contrat. Deux semaines plus tard, j'ai toujours pas reçu le salaire qui me manque."

Même dans ses entrepôts, Amazon ne semble pas protéger suffisamment ses travailleurs contre les températures extrêmes. "Je triais à l'intérieur d'une remorque, et dans cet espace clos, il faisait vraiment chaud et humide, ce qui rendait la respiration difficile. Il y avait un seul ventilateur, donc j'ai dit au directeur des opérations qu'ils étaient censés en avoir deux, et vous savez ce qu'ils nous ont donné à la place ? Des bandanas rafraîchissants, et on les a eus juste pour une semaine", a déclaré François, un ancien travailleur d'un entrepôt de Montréal.

En l'absence d'un droit du travail clair qui tienne les employeurs responsables de la protection de leurs employés contre les températures extrêmes, Amazon a créé ses propres politiques pour augmenter la productivité, mais qui mettent en danger ses travailleurs et ses sous-traitants. Monette explique: "Nous ne pouvons pas demander aux livreurs de travailler à -45°C comme si ce n'était rien. La santé et la sécurité des personnes doivent passer avant les paquets et les quotas d'Amazon, sans exception."

Mostafa Henaway, organisateur au Centre de Travailleur et Travailleuse Immigrantes et du Comite du Travailleurs d'Amazon, a fait part à l'Étoile du Nord de son point de vue sur les PSL: "Tous ces travailleurs travaillent pour Amazon. Amazon leur dit quoi faire, ils livrent les colis d'Amazon et sont essentiellement payés par Amazon. Ils ont créé ces fausses entreprises (PSL) où tous les propriétaires sont essentiellement des intermédiaires. De ce fait, les chauffeurs ne peuvent pas se syndiquer, car s'ils le pouvaient, ce serait la fin de tout le modèle économique d'Amazon".

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