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Les travailleurs d’Amazon à Laval prêts à former un syndicat historique

Temps de lecture:8 Minute

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Ce matin, un groupe de travailleurs de Laval a annoncé qu'ils pourraient bien être les premiers à former un syndicat dans un entrepôt canadien du géant monopoliste Amazon. Le Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Amazon Montréal (STTAM–CSN) a déclaré avoir déposé au Tribunal administratif du travail les preuves qu'une majorité des employés de l'entrepôt DXT4 ont signé une carte syndicale.

Selon Caroline Senneville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), « Vendredi dernier, nous avons signifié au tribunal qu'une majorité d'employés de l'entrepôt DXT4 avaient adhéré à leur syndicat. Nous demandons au TAT de reconnaître leur volonté de se syndiquer et nous serons particulièrement vigilants à l'égard du comportement qu'adoptera la multinationale au cours des prochains jours.»

Pour mieux comprendre l'importance de cette annonce, l'Étoile du Nord s'est entretenue avec Vincent et Miguel*, militants du STTAM–CSN. Vincent, militant syndical à la CSN, a travaillé pendant plus d'un an à l'entrepôt DXT4. C'est lui qui a pris l'initiative de contacter la CSN pour lancer la campagne de syndicalisation après avoir quitté son emploi. Miguel, un travailleur et associé de l'entrepôt DXT4, a également participé activement à la campagne.

Ne plus avoir peur de se tenir debout

Pour Miguel, dans les entrepôts d'Amazon, « il y a trois problèmes qui ressortent souvent: le salaire, la sécurité d'emploi, et la santé et sécurité au travail. »

« Tout ça, c'est lié à un feeling général qu’on travaille vraiment fort et qu’on n'a pas de respect en retour, » ajoute Vincent. « On travaille vraiment fort, mais on n'est pas si bien payé. On travaille vraiment fort, mais on se blesse et ensuite, ils nous traitent comme de la merde. On travaille vraiment fort, mais on n'a aucune garantie d'avoir un emploi dans deux mois. »

Ils soulignent qu'Amazon embauche souvent sous des contrats de trois mois, privant ainsi un grand nombre de travailleurs d'accès aux avantages sociaux. Il est fréquent que ces contrats soient renouvelés pendant plus d'un an, sans aucune garantie d'une permanence. Cependant, le manque de sécurité d'emploi va au-delà de la question des contrats.

Vincent continue: « Par exemple, un gars a fait une crise cardiaque sur le plancher, donc il a été étiqueté ‘à risque de blessures’. Ils lui ont coupé son contrat du jour au lendemain, alors que tous les autres ont été étendus. Autre exemple, c'est quelqu'un qui s'était blessé rapidement après son embauche. Ils lui ont coupé son contrat pas longtemps après. Le système pousse les gestionnaires à voir les gens à risque de blessures comme des dangers de perte de revenus, donc ils les coupent après quelques mois. »

La pression de la performance pousse les travailleurs à prendre des raccourcis. Ils ont peu de possibilités de refuser d'effectuer une tâche parce qu'elle est dangereuse, puisque leur situation d'emploi est instable. « Donc tu vas plus aller vite, tu ne vas pas lever le sac de la bonne manière, et tu vas te blesser, » dit Vincent.

De plus, les personnes qui se blessent recevraient un traitement complètement inadéquat de la part des gestionnaires, alors que ceux-ci tentent à tout pris d'éviter d'impliquer la CNESST. « Ils vont te donner des accommodations minimes dans ton travail pendant un moment, mais si tu ne t'es pas démerdé pour trouver un docteur suffisamment rapidement à leurs yeux, tu es dans le trouble. Ils vont mettre fin à l'accommodation et là, tu vas avoir des avertissements, tu vas devoir travailler vite, et ta blessure, elle va s'empirer. » 

Mais pour Vincent, « ce qui va changer le plus la vie du monde [suite à l'arrivée du syndicat], c'est d’avoir un rythme de travail décent et de ne plus avoir peur de se tenir debout. Tu comprends, les travailleurs se font espionner dans les toilettes! Parfois, il y a un superviseur qui va dans les toilettes pour dire aux gens d'aller plus vite: ‘Pissez plus vite, allez, chiez plus vite! C'est le temps de travailler!’ Les gens travaillent dix heures par nuit, ils ont hâte de finir, donc je peux comprendre qu'ils vont prendre une petite pause aux toilettes. »

L'immense défi de la campagne syndicale

Selon Vincent et Miguel, au début, la plupart des travailleurs étaient réticents, craignant des représailles de la part de la multinationale. « Personne n'osait être le premier à nous rejoindre, » déclare Vincent. « On n'avait aucun espoir de victoire. »

Mais face à ces difficultés, ils n'ont pas baissé les bras. Ils ont commencé à distribuer un journal mensuel devant les entrepôts pour dénoncer les mauvais traitements et ont organisé des rencontres entre collègues pour discuter des problèmes rencontrés. Ils voulaient « commencer à créer un discours qui répandait le message que 'ce n'est pas normal ce qui se passe.' »

« Ç'a poussé les travailleurs à se parler entre eux. Ensuite, les gens déjà favorables au syndicat ont identifié les autres qui pourraient être en accord. Puis, il a fallu faire des discussions un à un, pour expliquer qu'est-ce qu'un syndicat, expliquer la loi du Québec, rassurer les gens. Il a fallu gagner la confiance du monde et, à long terme, ç'a fait boule de neige. »

Toutefois, « il n'y a rien de magique, c'est long, difficile, et c'est juste le début de ce qu'il faut faire à Amazon. Rien n’est arrivé d’un coup, on n'a pas fait une action grandiose qui a convaincu tout le monde. Il a vraiment fallu convaincre une personne à la fois. »

Caroline Senneville, Présidente de la CSN

À la conférence de presse, la présidente de la CSN affirme qu'elle « tiens à saluer le courage et la détermination des travailleuses et travailleurs d'Amazon. Depuis plusieurs mois, dans ses différents entrepôt au Québec, Amazon mène une campagne de peur en inondant les milieux de travail de propagande antisyndicale. Il est temps que l'intimidation cesse envers les employés et que les droits du travail soient respectés au Québec.»

Un message pour Jeff Bezos

Pour Miguel et Vincent, la syndicalisation de l'entrepôt DXT4 d'Amazon représente bien plus qu'une simple amélioration des conditions de travail pour les travailleurs. C'est un message fort adressé à Amazon et à d'autres entreprises, affirmant que les travailleurs ne toléreront pas l'exploitation, le contrôle et le manque de respect.

« Ça envoie un message clair à Jeff Bezos pis sa gang, qu'il y a des limites, » s'exclame Vincent. « Les travailleurs ont peut-être peur de s'organiser, mais à moment donné, ils vont s'organiser quand même parce que ça n'a plus de bon sens. Le monde se blesse, et avec l'inflation aussi, les gens n'ont plus les moyens de manger, de payer leur auto et leur logement. »

Même s'il juge qu'il y a « quelque chose de particulier à Amazon, de presque dystopique, » il ajoute avoir travaillé dans de nombreuses industries non-syndiquées, et y avoir vu plusieurs des mêmes problèmes. « C’est constant: le manque de respect des patrons met à risque la sécurité des travailleurs pour la productivité de l'entreprise. »

« Ce qui est de particulier d'Amazon, ce sont les nouvelles technologies. C'est ça qui fait peur! Je vois comment mes anciennes jobs, qui avaient moins de technologies, pourraient devenir comme ça, si Amazon devient la norme. Amazon est technologiquement plus avancé, donc leurs méthodes pour contrôler le travail et leurs méthodes pour te forcer à travailler plus vite sont plus avancées. »

« C'est dans ce sens-là que je pense que la lutte contre Amazon est primordiale, c'est-à-dire qu'il faut montrer à toutes les entreprises que si elles essaient de faire ces trucs-là, ben les travailleurs ne vont pas accepter ça. C'est inacceptable de faire ces choses-là parce que ce sont des niveaux de contrôle sur les gens qui n'ont pas d'allure. Suivre où tu es, en tout temps, tous les mouvements que tu fais, c’est inacceptable. On ne veut pas que ça devienne pire pour les travailleurs d’Amazon, ni pour les travailleurs des autres entreprises. »

Et avec la possible création d'un syndicat à l'entrepôt DXT4, Miguel pense que ça « prouve que les travailleurs peuvent gagner contre une multinationale, contre une compagnie qui est réputée pour ses efforts antisyndicaux, puis on prouve que les travailleurs peuvent se tenir debout, même dans des conditions difficiles. »

L'entrepôt DXT4, à Laval

Selon un organisateur du syndicat présent à la conférence de presse, « Tu sais, juste ici à Montréal, on a déjà commencé à attaquer les autres entrepôts. On a des contacts partout, les chauffeurs s'arrêtent aujourd'hui pour nous parler. Ils seront la prochaine étape aussi pour nous autres, c'est juste un premier pas, mais c'est un osti de gros premier pas parce que là, on a brisé la peur, on a vu que c'était possible, on a montré que les travailleurs veulent un syndicat. Après ça, c'est peut-être plus facile, les prochains vont venir plus vite. »

Interpellant les travailleurs des autres entrepôts Amazon et des autres entreprises, Vincent lance: « n'ayez pas peur de parler à vos collègues pour vous organiser. Tout le monde a peur d'être le premier à dire ‘ça n'a pas de bon sens’. Mais ayez confiance en ceux autour de vous qui vivent la même situation que vous. Ce n'est pas vrai qu’ils vont tous vous dénoncer. Parlez entre vous, et ça pourrait être le début de quelque chose d'important, qui peut vous mener à nous rejoindre dans notre combat. »

*'Vincent' et 'Miguel' sont des pseudonymes utilisés pour préserver leur anonymat et éviter toute forme de répression de la part de leur employeur.

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